L’esthétique des dessins de Jean-François Lebœuf sème la confusion et désamorce notre rapport au dessin. Les images dérangent notre relation au quotidien, les figures de la société contemporaine que l’artiste représente étant issues d’une sous-culture de masse. Celles-ci attestent d’un imaginaire où l’absurde et l’irrévérence vont de pair avec les signes d’une attitude prosaïque. Les personnages à l’allure trash sont tirés de vidéos, surpris dans une activité qui révèle alors un quotidien étrange et invraisemblable et où une partie de leur intimité se dévoile. Un certain malaise se dégage de ces situations et de ces images : les habitudes malsaines et à la limite de la moralité que défendent les personnages supposent un bouleversement du « vivre ensemble », marquées par l’éclatement des valeurs et par le jugement de nos sociétés contemporaines.
bio
Jean-François Lebœuf détient un baccalauréat et une maîtrise en arts visuels et médiatiques. Il entreprend actuellement une maîtrise en enseignement des arts. Il a exposé en solo à Caravansérail à Rimouski, à La Maison de la Culture Ahuntsic-Cartierville à Montréal et dans la grande galerie de L’œil de Poisson à Québec. Ses installations, vidéos et performances ont été présentées lors de multiples événements collectifs à Montréal, Rouyn-Noranda, Toronto, San Francisco et Helsinki.
Expliquez-nous votre démarche artistique.
Avec certains débris junk culturels dérivés du cinéma de genre, du rock’n’roll ou de la bande dessinée, mon corpus mêle performance, dessin, vidéo, photographie et installation. Je combine des éléments issus d’une culture pop de bas étage à d’autres découlant du quotidien ou même de la vie ordinaire de banlieue et de quartiers pauvres.
Mon travail est premièrement motivé par le simple plaisir de mélanger. Conséquemment, il s’amuse des significations troubles que l’œuvre porte.
Ce fatras peut sonder toutefois un pan de notre identité culturelle par l’emprunt et la recontextualisation de figures souvent archétypales. Lutteurs de lucha libre, musiciens black metal et mères toxicomanes se côtoient dans mes essais qui abordent une hétérogénéité propre à notre époque. Cette hétérogénéité, mon travail la critique en même temps qu’il la célèbre. Il l’embrasse dans un esprit festif où se côtoient ordre, chaos, banal et grotesque.
Parlez-nous des œuvres présentées dans l’exposition.
Les dessins de la série des Bâtards sont des portraits plus grands que nature de personnages qu’on peut retrouver dans mes vidéos ou lors de mes performances. Ils sont des « Frankensteins » de culture : la musique pop, la lutte mexicaine, les alcools abordables ou les films cultes les composent. Ils sont des êtres de démesure autant par leur apparence que par les agissements qu’on peut supposer qu’ils ont. Ce côté louche et même décadent est contrebalancé par une présentation frontale marquée par une certaine neutralité et par un dessin à la facture réaliste et mesuré.
Les photographies sont, quant à elles, tirées d’une mise en scène à la limite de la performance. Pow Wow Party, qui est une sorte de réunion d’étranges protagonistes se livrant à des actions aussi banales que farfelues. Les imprimés photo captent quelques moments de ce get-together insolite.
Quels sont les sujets qui vous préoccupent le plus et pourquoi?
Mon travail aborde probablement moult questions dont plusieurs m’échappent. Celles qui habitent ma pratique et dont je suis conscient concernent, entre autres, la perte de sens et de repère. Nous, occidentaux, vivons une époque dans laquelle ni le religieux, ni la famille et plus tant la politique nous mobilisent. Les « produits culturels » se multiplient immodérément, nous laissant un peu perdus dans une immensité de signifiants. Dans mon travail, cette question n’est pas abordée uniquement sous un angle alarmiste. Cette multiplication de référents peut nous éloigner des dogmes et nous faire saisir et assumer le chaos universel.
Un autre sujet qui semble m’animer est la question de la marginalité. Je constate que mes Bâtards, malgré leur « popitude », adoptent des postures asociales et excessives. Si je me penche bel et bien sur ce thème, c’est peut-être afin de sonder l’efficience d’attitudes anticonformistes dans notre monde à la fois libéral et formaté.
Comment vous positionnez-vous dans le milieu de l’art actuel montréalais? Vous sentez-vous appartenir à un certain mouvement, à votre époque, à votre ville?
La scène montréalaise en art contemporain en est une dynamique et riche. Les centres d’artistes, les musées et certaines galeries privées contribuent à un milieu effervescent, inspirant, motivant. Les propositions artistiques qu’on y retrouve sont substantielles et variées. Dans ce contexte de diversité, j’ai un peu de difficulté à m’associer à un courant ou à un mouvement (existe-t-il encore de telles choses?). Cependant, il m’arrive souvent de constater des corrélations avec des artistes ayant des thèmes ou usant de stratégies bien actuelles comme l’humour, le festif ou la surabondance.
Comment voyez-vous votre travail artistique, qu’est-ce qu’ « être artiste » signifie pour vous?
« Être artiste » signifie pour moi avoir une autre façon de réfléchir. Autre que par la parole ou l’écrit, il est si captivant de travailler les idées par la matière (aussi immatérielle la matière peut être, dans le cas de la vidéo par exemple). C’est un travail des idées par l’action, par le faire. On revient tôt ou tard au raisonnement écrit ou discuté, mais l’essentiel se passe en atelier, devant le papier, devant l’écran ou dans l’action pure de la performance. Aussi, « être artiste » ̵ et on s’éloigne du sensible et de la poésie ici ̵ c’est beaucoup de paperasse. C’est terre-à-terre, mais tellement réel, il y a un temps fou qui est alloué à répondre à des appels de dossiers ou à appliquer pour des bourses. Mais au-dessus de toute cette gérance administrative, le geste créatif l’emporte, grisant et salutaire.
jeanfrancoisleboeuf.com
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