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« Quels enjeux après l’attentat contre Charlie Hebdo? », compte-rendu d’une conférence avec Jean-François Nadeau du Devoir

« Quels enjeux après l’attentat contre Charlie Hebdo? », compte-rendu d’une conférence avec Jean-François Nadeau du Devoir

Après l’attentat du 7 janvier dernier visant Charlie Hebdo, la question de la liberté de presse et de la liberté de satire s’impose et provoque plusieurs discussions. Pour avancer le débat, quatre panélistes étaient invités à discuter sur ce thème par le département des sciences politiques de l’Université de Montréal dans une conférence intitulée « Satire, Liberté d’expression et Démocratie. Quels enjeux après l’attentat contre Charlie Hebdo? ». Baron était là et vous condense les propos de Jean-François Nadeau et Garnotte du journal Le Devoir, Fabien Desage (Le Monde, professeur invité à l’Université de Montréal) et Carol Galais (caricaturiste et chercheure à l’Université de Montréal).

« Être exécuté pour son sens de l’humour » constitue une triste « nouveauté » pour Carol Galais, qui croit que les caricatures visent avant tout une élite, religieuse ou politique, et non pas le simple pratiquant d’une religion. En Espagne, le clergé, tout-puissant pendant la dictature de Franco, tient encore beaucoup de pouvoir et tente de réduire la liberté d’expression, attaquant ici et là les journalistes avec des accusations de blasphème, crime passible d’un an de prison. Cela n’empêche nullement les journaux espagnols d’en faire plus souvent qu’autrement la cible de leurs dessins. « S’empêcher de faire certaines blagues, c’est perdre la bataille », croit Galais.

Pour Michel Garnaud, mieux connu sous son nom de plume Garnotte, « [o]n se retrouve toujours à prendre position quand on fait de la caricature. » Il était en vacances lorsqu’on eu lieu les attentats, et cette « attaque au métier de caricaturiste » a été chez lui « ressentie durement ». Pour lui, « c’est presque un acte de guerre » que de prendre le crayon, une prise de parole qu’il juge tout à fait nécessaire.

Jean-François Nadeau, lui aussi travaillant au Devoir comme directeur adjoint de l’information, avait déjà commenté à chaud les événements du 7 janvier avec une grande éloquence. Il s’est montré particulièrement critique face aux grandes manifestations visant à protéger la liberté d’expression lorsque selon lui, nous n’en faisons pas usage. « L’autocensure n’est pas nouvelle. De croire qu’on soit menacé alors qu’on ne représentait déjà rien » est pour lui grotesque.

Les manifestations violentes qui ont éclaté un peu partout dans le monde en réaction à la une post-attentat du Charlie Hebdo ont été abordées. Nadeau croit qu’à ce niveau, nous ne pouvons évaluer notre travail qu’avec nos propres codes de société, et qu’on ne doit pas s’empêcher d’avoir des propos qui pourraient heurter des sensibilités si ce qui est exprimé respecte les balises établies de la liberté d’expression. En exemple, il a été mention de Charlie Hebdo, souvent jugé limitrophe par différents procès, alors que Dieudonné a été reconnu coupable d’avoir enfreint ces limites.

Nadeau rappelle qu’en tant que société, le Québec « a sublimé la caricature ». Les politiciens et les avocats n’hésitent plus à acheter des originaux les dépeignant sous un jour peu flatteur pour orner les murs de leur bureau, en « une sorte d’objet de fierté, une façon d’invalider la critique. » Un progrès relativement récent qu’il faut prendre en compte dans notre interprétation des événements.

Pour Fabien Desage, deux droits sont nécessaires à la lumière de l’attentat: de pouvoir défendre les droits que la rédaction de Charlie Hebdo avait (et conserve) de s’exprimer, et le droit de pouvoir dire que l’on était pas d’accord avec leurs propos. Il prône le « politiquement j’t’emmerde », plutôt que le politiquement correct.

Nadeau a finalement repris à sa sauce la célèbre citation de John Stuart Mill: « La liberté d’expression est comme la liberté de projeter son poing vers l’avant: elle s’arrête là où le nez de l’autre commence. »

Nous en avons encore pour longtemps à constater les implications politiques et symboliques que cet attentat porte. Ce midi-là, dans l’antre de l’UdeM, nous en avons pris un peu plus conscience. L’essentiel surtout, c’est que la discussion continue.

Crédit photo principale: Gerry Lauzon

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