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Daniel Thibault de Skerpa Design

Daniel Thibault de Skerpa Design

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Comment se porte le milieu du design industriel au Québec ? Baron s’est entretenu avec quelques représentants et professionnels de l’industrie pour en savoir plus. Discussion avec Daniel Thibault, designer industriel et fondateur de l’entreprise Skerpa Design inc.

Dès l’âge de 15 ans, Daniel Thibault savait qu’il voulait devenir designer industriel. Il a commencé très tôt à bricoler dans l’atelier de la maison de ses parents et rêvait déjà de redessiner des produits différents pour qu’ils soient mieux conçus et aussi plus esthétiques.

Étudiant à l’Université de Montréal, Daniel a obtenu un baccalauréat spécialisé en design industriel en 1995 et cumule près de 20 ans d’expérience dans les secteurs de PME, d’entreprises multinationales, de conception et développement de produits innovateurs.

Baron : Pouvez-vous nous en dire plus sur Skerpa Design inc. ?

Daniel Thibault : En 2004, j’ai fondé Skerpa Design inc., un bureau de design industriel conseil établi à Montréal.Depuis 2008, je m’intéresse de plus en plus à l’écoconception, car je trouve que c’est une voie incontournable pour les décennies à venir. Je dirais que Skerpa Design est devenu de plus en plus généraliste, moins axé sur la conception et le développement des chaussures à partir de 2007 et 2008. C’est avec des projets développés à l’interne, comme nos arrosoirs empilables, qui permettent de réduire leur empreinte écologique puisqu’ils occupent moins d’espace lors de l’entreposage et du transport. À partir de 2010, j’ai créé une marque de commerce, mezzamorphos (mezzamorphos.com), pour la commercialisation des produits créés par et au bénéfice de Skerpa Design. Cette même année, nous avons lancé une gamme d’accessoires de mode féminins automne et hiver, entièrement fabriqués ici, au Québec. Depuis 2013, Skerpa Design s’est allié à un nouveau partenaire : Izzy Sports, situé à Chambly, sur la Rive-Sud de Montréal. Ce nouveau partenariat nous permet d’offrir un service plus global encore avec, à la clé, un service de marketing et de mise en marché.

B. : Quels sont les enjeux majeurs du design industriel, de manière générale ?

D. T. : Il faut s’assurer que le design industriel soit de plus en plus un incontournable, voire un vecteur d’innovation, non seulement du point de vue des entreprises, mais aussi de la société en tant que solution à des impératifs de développement durable. Ce qui implique que les designers industriels soient engagés, avec les divers intervenants de tous les départements clés d’une entreprise, en amont de tout processus de développement de produit un tant soit peu innovateur. Et cela est encore plus vrai pour l’écoconception et pour tout produit pour lequel on voudrait diminuer les coûts de fabrication ou tout simplement pour faire de l’innovation de rupture.

Malheureusement, il y a encore des situations où l’apport du design industriel est considéré comme étant mineur ou accessoire, si bien que l’on ne met à contribution les designers industriels qu’à la toute fin du processus de développement du produit.

Je dirais que l’enjeu majeur est de faire réaliser aux entrepreneurs des PME que, dans un petit marché comme le Québec et même comme celui du Canada, il faut pouvoir innover d’une manière plus radicale de sorte que les entreprises québécoises puissent exporter davantage. Sans quoi, ces PME se verront supplantées par les concurrents américains, qui sont plus productifs, les Asiatiques, plus compétitifs, avec leur coûts de production plus faibles, et les Européens, plus imaginatifs et audacieux, avec leurs produits à plus grande valeur ajoutée sur le plan esthétique et écologique, entre autres.

B. : Comment le design industriel progresse-t-il au Québec ?

D. T. : Il progresse de plus en plus sur la place publique, de sorte que l’on confond de moins en moins le designer industriel avec un dessinateur industriel. Le designer industriel est de plus en plus perçu comme un développeur de produits et non comme une personne qui fait de beaux dessins, mais qui soulève des questions et remet en cause des objets ou façons de les fabriquer.

Par contre, ce qui me choque l’ouïe est d’entendre le mot “design” utilisé à tout va pour désigner tout ce qui est beau… cela est trop réducteur que de s’en tenir au seul aspect esthétique d’un objet. Le design se devrait idéalement de référer à des produits intemporels et durables.

L’Association de designers industriels du Québec (ADIQ) compte de plus en plus de membres et cela permet aussi de donner une plus grande crédibilité auprès du Ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Exportation du Québec, qui gère les programmes d’incitatif financier et qui fait aussi la promotion du design industriel. L’ADIQ a su dynamiser la profession en créant des concours avec de grands joueurs de l’industrie, que ce soit celle de l’aluminium et du bois, entre autres, ou en organisant des rencontres entre les fournisseurs et les designers pour créer de nouvelles synergies.

B. : Selon vous, comment prouver au milieu des affaires la valeur de votre profession ?

D. T. : Tout d’abord, les designers industriels sont reconnus en fonction de leurs réalisations qui ont cheminé jusqu’aux tablettes des magasins… Et aussi je dirais par la capacité à prouver qu’ils peuvent faire générer des profits à leur clientèle avant même que le produit ne soit vendu en magasin. Par là, j’entends notre capacité à réduire les coûts de fabrication et à réduire un produit à sa plus simple expression. Également, en choisissant en amont le meilleur procédé de fabrication selon les prévisions annuelles projetées, le designer industriel optimisera le produit en le dessinant en fonction du procédé.

De nos jours, les profits commencent avant les ventes. Le designer industriel veut généralement et doit faire en sorte de créer une valeur perçue supérieure au produit qu’il conçoit. Cette valeur perçue s’opère sous forme de séduction qui deviendra virale, un peu comme cela est arrivé avec le iPod et surtout le iPhone et iPad, d’Apple.

B. : Quels sont vos atouts principaux pour rendre vos services attrayants aux yeux des entreprises ?

D. T. : Le principal atout de Skerpa Design semble être, selon ce que certaines personnes et clients nous ont mentionné, notre intérêt à l’égard de leur projet, et ce, avant même que nous ayons un mandat signé. Certains clients potentiels sont arrivés très bien documentés et préparés. On s’est donné la peine de s’intéresser à leur recherche. C’est essentiel pour nous de créer un partenariat relationnel avec nos clients : on ne travaille pas pour eux, mais avec eux.

Je dirais que c’est aussi et surtout notre préoccupation, en ce qui concerne la viabilité commerciale du produit avant même que nous le développions. Nous avons aussi une approche initiale où nous voulons nous assurer que le produit sera profitable, tant du point de vue de nos clients que des distributeurs et des détaillants. Cela nous fait parfois perdre un client, mais nous donne beaucoup de crédibilité.

Nous mettons aussi nos clients potentiels et clients au courant des divers programmes d’aide financière, afin d’accroître leur succès et de réduire les coûts de développement de leur projet, que ce soit au niveau des frais de design industriel, de recherche et développement (R&D) ou de commercialisation du produit. Chez Skerpa Design, il n’est pas rare que la nécessité de réinventer un produit nous amène à enclencher un processus de R&D, ce qui permettrait à nos clients de percevoir des crédits d’impôt ou, sinon, un remboursement de dépenses, dans le cas où il n’y a pas d’impôts à payer.

Enfin, notre récent partenariat avec Mathieu Rodrigue, d’Izzy Sports, qui possède une forte expérience en commercialisation et en valorisation marketing, est, en quelque sorte, un atout complémentaire qui va dans la continuité de notre approche de la viabilité commerciale et aussi environnementale.

B. : Comment gérez-vous le processus créatif lors de la réalisation de vos projets et qu’est-ce que cela représente pour vous ?

D. T. : On fait une recherche pour bien connaître l’état du marché au niveau de la concurrence dans le secteur du produit à concevoir. On fait également une veille technologique pour savoir où en est la technologie liée au marché du produit. Grâce à Internet, ça nous donne une excellente idée de ce qui se passe sur la planète.

On fait ensuite une recherche de l’art antérieur, en ce qui à trait à la propriété intellectuelle (brevets et dessins industriels). Cela nous permet de donner l’heure juste à nos clients, à savoir s’ils ont en main une invention potentiellement exploitable ou pas.

Dans le passé, pour trois clients, nous avons réussi à contourner des brevets existants pour leur permettre de créer des produits innovants sans enfreindre les brevets et, en plus, nous avons pu leur permettre de faire des demandes de brevet.

À mon avis, cette phase initiale de recherche est essentielle au processus créatif. Sinon, à quoi bon développer un produit qui ne pourra pas être viable sur le plan commercial ?

Je suis particulièrement enthousiaste à l’idée de démontrer que nous pouvons protéger les intérêts de nos clients en leur évitant des écueils juridiques inhérents aux poursuites pour contrefaçon d’une invention protégée. Je suis encore plus heureux lorsque nous avons leur confiance pour tenter de contourner des brevets et que nous réussissions à le faire !

Une fois la recherche complétée, je gère le processus avec une approche managériale dite participative : je mets à contribution les idées d’autres designers industriels ou autres intervenants.  Toutefois, je privilégie aussi une approche où on tente d’anticiper les besoins futurs des utilisateurs finaux à qui est destiné le produit. Cela ne peut pas toujours se faire par le biais de questionnaires ou de groupes de réflexion, car comment quelqu’un peut-il évoquer un besoin s’il ne sait pas si cela est possible avant que le produit ne soit inventé ?

 www.skerpadesign.com

www.mezzamorphos.com

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