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De retour du Festival Omnivore : l’avenir de Montréal se jouera dans les cuisines

De retour du Festival Omnivore : l’avenir de Montréal se jouera dans les cuisines

Sur les parois concaves de la Statosphère, des mains géantes coupent, blanchissent, poêlent ou escalopent. Les doigts sont rapides, le geste est maîtrisé. Des spectateurs assis pieusement sur des chaises, en demi-cercle, observent et salivent. Du homard aux myrtilles, le plaisir des yeux est déjà à son comble. Sous les projecteurs, les chefs s’accomplissent non sans un certain trac. Mais ils savent bien, et nous aussi, que le numéro se finira dans une trombe d’applaudissements.

Se tenait à la SAT la fin de semaine passée Omnivore, festival culinaire ambulant se promenant de Paris à Montréal en passant par Shanghai, Moscou, Bruxelles ou encore Genève.

À l’origine de ce festival, un homme, Luc Dubanchet, journaliste et, bien sûr, amoureux de la cuisine. En 2002, il est l’un des premiers à constater que la cuisine française est encore lourde d’une sacro-sainte tradition. Alors qu’elle commence à peine à questionner l’hégémonie de la Recette (avec un grand « R »), les cuisines étrangères, et notamment en Espagne, pays à l’avant-garde, célèbrent déjà une nouvelle cuisine. Une cuisine qui fait fie des règles pour ne privilégier que la créativité. Une cuisine audacieuse. Une cuisine d’auteur.

Rapidement mis en place par trois fois rien et quelques amis enthousiastes, le projet prend alors forme autour de quelques chefs, invités à montrer leur travail et à échanger avec le public local dans une ambiance chaleureuse. D’abord au Havre, puis à Deauville, l’événement provoque une réponse immédiate : le besoin était grand, et le succès est sans équivoque.

« On a eu le nez creux, comme on dit, nous confie Luc Dubanchet. On a eu la chance de sentir avant tout le monde que ce qui était pompeusement appelé haute cuisine était en train de passer d’un simple hédonisme, très attaché à des valeurs de classes, à une culture commune et plus humaine. Les chefs de la nouvelle génération sont audacieux et recherchent avant tout le dialogue. Et ils proposent vraiment une expérience gastronomique ».

D’abord basé en France, le festival prend réellement le large après une rencontre avec le chef David Chang de Momofuku à New York. « Je lui ai dit “cap ou pas cap de venir en France ?” Et il est venu. On a ensuite compris que c’était aussi à nous de venir rencontrer les chefs, chez eux. Le World Tour a alors vraiment commencé. C’était il y a 5 ans ».

C’est sous la forme de « classes de maîtres » que se présente chaque démo, de 45 minutes chacune, c’est-à-dire assez pour nous faire vivre des étapes de la préparation qui sont souvent peu connues du public. Certains chefs, surtout locaux, préparent leurs spécialités, tandis que d’autres, les chefs en « tournée », improvisent des créations inspirées par les marchés des villes qu’ils traversent.

Et Montréal n’aura pas laissé ses visiteurs indifférents. Difficile en effet de ne pas bomber un peu le torse lorsque l’on entend Laurent Folmer, de Couvert Couvert parler du Marché Jean-Talon. « Une telle fraîcheur et telle diversité ne se trouvent même pas sur les marchés européens ».

« Les Montréalais ont une chance incroyable, insiste-t-il. Un marché aussi riche que celui-là, mais surtout accessible 7 jours par semaine, je n’ai vu ça qu’à Shanghai ». Laurent et son frère, tous deux chefs au restaurant qu’ils tiennent en Belgique, s’amusent même de l’une de leurs trouvailles à Jean-Talon : des grappes de salsepareille (petit fruit semblable à des groseilles). « On n’avait jamais vu ça avant, dit Laurent au public. En fait, on croyait que ce fruit était juste une invention de Thierry Culliford pour les Schtroumpfs ! »

Pas mal, Montréal. Pourtant, Luc Dubanchet admet que Montréal n’a pas encore de rayonnement international en matière de cuisine. « Tout a changé au cours des 15 dernières années, littéralement une génération. C’est encore récent. Depuis les débuts du Pied de Cochon, du chemin a été fait. Mais avec sa diversité et sa richesse, Montréal va percer, c’est évident ! »

On sent dans l’enthousiasme de l’organisateur un vrai plaisir, et pas seulement celui des papilles. Celui, également, du bouillonnement d’idées. Ce n’est d’ailleurs pas avec le jargon du cuisinier que Luc Dubanchet parle du projet, mais avec celui du chimiste. Omnivore est pour lui un « émulsifiant », une « centrifugeuse ». Le festival, tel un laboratoire géant, est avant tout à ses yeux un lieu d’expérimentation, et de découvertes de talents. Un laboratoire gastronomique, une jolie définition qui a fait écho à la participation de Seth Gabrielse, chef avec Michelle Marek du Food Lab de la SAT, nouveau carrefour de la cuisine expérimentale montréalais.

Les 3 jours de festival ont réellement offert au public des réflexions intelligentes et originales autour de la cuisine : avec les chefs de Couvert Couvert, il s’agissait d’un voyage autour de l’amer, cette « saveur presque disparue ». Seth Gabrielse, lui, a proposé une réflexion culinaire sur le sel, cet ingrédient omniprésent mais que l’on « maîtrise finalement assez peu ». Et il s’est installé un silence de coulisses, à la fois admiratif et gêné, lorsque Samuel Pinard a sur écran géant découpé un demi cochon, pièce par pièce, en expliquant savamment ce que chaque partie finirait par être dans nos assiettes.

Omnivore, un quasi sans faute. Si ce n’est le peu de têtes d’affiche féminines, à un moment où plusieurs tentent de rompre avec l’image sexiste longtemps associée au milieu de la gastronomie. Luc Dubanchet le reconnaît volontiers. Il a en fait beaucoup à dire sur le sujet : « Je crois que pendant longtemps, la cuisine a eu peur. Elle se réfugiait dans les règles, avec la Recette comme loi. La cuisine, très institutionnaliste – elle a même emprunté au vocabulaire militaire – se passait d’initié en initié. Tout ça est très judéo-chrétien. On disait même que les femmes ne pouvaient pas participer à la cuisine à cause des “tâches physiques”, comme soulever des casseroles. C’est n’importe quoi».

« Mais la cuisine ne pourra pas échapper au changement qu’apportent les femmes. Leur arrivée va être massive, et ce sera une formidable régénération. Je ne crois pas à une “cuisine de femme”, il y a juste la cuisine, point. Mais il y a différentes sensibilités, différentes ouvertures. Et aujourd’hui, les horaires de la restauration sont plus flexibles, on peut travailler dans ce milieu et avoir une vie de famille. Je crois que les femmes vont être en cuisine comme un accélérateur de particules ».

Le festival a levé les amarres le 20 août vers les deux dernières dates de sa tournée : New York et San Francisco. Ce bouillon d’idées intelligentes et savoureuses aura sans doute fait l’unanimité auprès du public de la SAT, bien que cette première édition Montréalaise n’ait encore touché qu’un petit cercle d’amateurs de cuisine.

Mais il est sans conteste que le festival ait représenté une belle avancée vers le rayonnement gastronomique et culturel de Montréal. Montréal qui, si l’on en croit les prévisions de Luc Dubanchet, ne devrait pas tarder à rejoindre très rapidement la cour des grands. Si on se fie au flair du maître, on peut alors dire que c’est chose faite.

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