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Entrevue avec l’illustrateur Raymond Biesinger

Entrevue avec l’illustrateur Raymond Biesinger

Raymond Biesinger est bien connu dans le milieu de l’illustration montréalais. Avec des clients réguliers comme le Financial Times’ Weekend magazine et des projets dans The Economist, Le monde diplomatique, WIRED et le Globe & Mail, Biesinger a créé un style qui lui est propre, marqué par des aplats de couleurs sur des images en noir et blanc et par une prédominance des sujets à caractère politico-historique, physique et électronique.

Il a accepté de répondre à nos questions.

D’entrée de jeu, comment décrivez-vous votre travail et votre style?
Hmmmm… Je dirais que c’est un mélange efficace de minimalisme et de construction DIY. J’évite la décoration, en incluant des éléments seulement s’ils supportent directement le propos. J’essaie de rester proche d’une esthétique en noir et blanc : 99% du temps, mes illustrations sont faites sur un fond blanc auquel s’ajoutent d’une à quatre couleurs.

Nous sommes à un moment où la technologie est populaire et où presque tout le monde peut faire n’importe quoi. Ce qui m’intéresse, c’est d’accepter certaines limitations pour travailler avec elles.

À quoi ressemble une de vos journées typiques de travail?
Je me lève à 9 heures, je réponds à mes courriels et je m’occupe de la gestion de mes affaires jusqu’à 10 heures. Ensuite, je travaille sur une de mes commandes (ça peut être une illustration unique ou une série d’esquisses), jusqu’à ce que ça soit terminé, ce qui me laisse quelques heures avant la fin de ma journée (18 heures) pour travailler sur mes projets personnels. Mes journées favorites, toutefois, ressemblent plus à celle que j’ai aujourd’hui, alors que j’ai une douzaine de petits projets à faire plutôt qu’un ou deux gros projets.

Vous êtes autodidacte. Comment avez-vous découvert que vous vouliez être illustrateur?
Par accident et par nécessité. J’étudiais l’histoire est-européenne à l’Université et j’ai commencé à m’impliquer dans le journal étudiant comme auteur et éditeur. Un jour, quelqu’un m’a suggéré de faire des bandes dessinées, puisque je savais déjà raconter de bonnes histoires. Ce que j’ai fait. Puis j’ai commencé à faire des bandes dessinées à caractère politique.

Par la suite, j’ai été refusé pour un poste au journal et je me suis dit « fuck this, je vais être engagé par de vrais journaux à la place! ». J’ai donc envoyé mon portfolio à plusieurs endroits et j’ai été embauché pour faire des illustrations pour le Globe & Mail, le National Post, Saturday Night magazine et quelques autres pendant que je terminais mes études. C’était un travail à temps partiel fantastique pendant que j’étais à l’école – beaucoup mieux que faire la vaisselle ou compétitionner avec les très nombreux auteurs talentueux d’Edmonton pour obtenir des contrats en rédaction.

Quels sont les plus grands défis auxquels vous devez faire face dans votre travail?
Je n’ai pas de problème à rester motivé ni à trouver des idées ni à terminer mes mandats dans les temps. Par contre, j’ai de la difficulté avec les risques associés à mon travail. J’ai commencé à faire des illustrations pour avoir un salaire et être capable de payer mon loyer; la manière la plus sécuritaire d’y parvenir, c’est en prenant des commandes. Maintenant, je vis toujours une lutte intérieure pour me convaincre moi-même de faire une série d’impressions ou un livre plutôt que de prendre plus de commandes pour des magazines. Je me retrouve dans ce débat classique « sécurité vs indépendance », même si, au quotidien, mon travail est très créatif.

Autre chose : l’avenir de l’illustration peut être incertain. Il y a plus d’illustrateurs que jamais, en compétition pour des mandats toujours moins bien payés. Internet transmet une certaine « culture de ce qui est gratuit » qui engendre une baisse des tarifs, en même temps qu’il y a une baisse d’intérêt pour des travaux qui permettent une grande expression créatrice. J’ai déjà écrit à propos de ça : nous vivons dans une belle période pour voir de belles œuvres. En parallèle, les temps sont durs pour les personnes qui veulent faire ces belles œuvres et en vivre.

Vous avez travaillé – et travaillez toujours – pour des clients américains et européens. Comment avez-vous trouvé ces clients?
En faisant du bon travail, en étant conciliant, et en envoyant des cartes postales à tous ceux avec qui j’avais envie de travailler. La localisation géographique n’a plus d’importance de nos jours. J’ai obtenu la plupart de mes relations d’affaires quand j’habitais encore à Edmonton – une ville que peu de gens à l’extérieur du Canada connaissent et à laquelle on ne pense pas spontanément lorsqu’il s’agit de culture. Postes Canada et un site web : voilà tout ce dont a besoin un illustrateur maintenant!

Vous avez fait plus de 1000 illustrations. Desquelles êtes-vous le plus fier et pourquoi?
Hmmmmm… Le livre d’illustrations que j’ai fait l’an dernier This is World War One comprend définitivement certaines de mes favorites. Il y a aussi mes impressions de villes (Québec, Montréal, Ottawa et Toronto) que j’ai terminées la semaine dernière. D’autre part, les projets faits autour de mon groupe de musique The Famines sont pour moi une grande source de plaisir. Un autre : j’ai fait un graphique de 28 pieds de long qui documente la scène musicale d’Edmonton, de 1950 à 2012. Je suis sûr que vous pouvez imaginer ce que cela représente comme travail!

Je remarque que les illustrations que je préfère utilisent un minimum de couleurs, sont personnelles et sont fortement guidées par un concept et par mes recherches. Ce sont des illustrations que personne d’autre n’aurait pensé à faire.

Où trouvez-vous vos inspirations?
Cela peut paraître drôle, mais je reste concentré sur ce que je fais. Je passe mon temps à lire sur l’histoire et la politique et j’essaie de rester loin de ce que les autres illustrateurs et artistes font – je déteste ces sentiments de jalousie et de compétitivité que je ressens lorsque je regarde le travail d’autres artistes visuels. Je n’aime pas être cette personne. Ma vraie motivation vient plutôt d’une envie de donner corps à un argument. À partir de là, les moyens pour y arriver me viennent naturellement. Visuellement, je rends les choses d’une certaine façon parce que mes habiletés techniques sont limitées et que je ne peux pas le faire autrement. Dans un sens, ça rend les choses faciles – je n’ai pas d’autres choix!

Dernière question : sur quels projets travaillez-vous actuellement?
Refaire mon portfolio, en me concentrant davantage sur la qualité et non pas sur la quantité. Mais c’est un peu ennuyeux. Je travaille aussi sur un énorme projet qui prend forme tranquillement : je prépare un livre sur l’histoire de la Guerre froide, en 125 images et 30 000 mots. Je crois qu’il sera prêt en 2015… Je travaille aussi sur quelques commandes, mais rien de bien spécial.

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